COMPRENDRE L'IMPORTANCE DE DÉVELOPPER UNE VISION COMMUNE (ARTICLE 1/10)
31 octobre 2017, Linda Bérubé

UNE SÉRIE DE 10 ARTICLES À SUIVRE
Les personnes qui se présentent en médiation familiale, dans le contexte de la séparation du couple, vivent une période de stress et ont tendance à négocier sur positions, à l’instar de ce qui se fait dans le système judiciaire. Le but de cette série d'articles est de mettre en relief les diverses stratégies qui permettent au médiateur familial d’accompagner les parents dans la réorganisation de leurs responsabilités parentales après la séparation du couple, tout en parvenant à des accords sur les enjeux soumis à la médiation. Nous verrons comment le médiateur peut aider les parents à renouveler leur vision de la situation, pour leur donner envie de coopérer dans la recherche de solutions qui favoriseront leurs nouveaux liens familiaux.
Nous décrirons l’encadrement fourni par le processus de négociation raisonnée (Fisher, Ury, 1981) qui constitue le cadre stratégique qui structurera l’ensemble des échanges au cours de la médiation et nous insisterons sur l’importance de développer une définition commune du problème pour parvenir à dépasser les positions et dégager une meilleure compréhension des besoins mutuels. Nous traiterons également des tactiques que le médiateur devra adopter pour faire progresser les discussions vers des accords mutuellement satisfaisants.
ARTICLE 1
COMPRENDRE L'IMPORTANCE DE DÉVELOPPER UNE VISION COMMUNE
John Haynes (Haynes,1981),
médiateur familial américain qui a formé les premières cohortes de médiateurs
familiaux au Québec, aimait dire que le génie d’un médiateur réside dans sa
capacité d’aider les parties à définir les situations conflictuelles de telles
sortes qu’elles y voient un problème commun à régler. Pour aider les parents à
négocier la réorganisation de leurs relations familiales (Emery, 1994), à
redéfinir les frontières de leurs nouveaux territoires, le médiateur familial
devra donc élaborer des stratégies qui faciliteront le cheminement des parties
d’abord vers la reconnaissance d’un défi commun à relever et ensuite seulement,
vers un accord mutuellement satisfaisant sur les différentes questions
entourant la séparation.
Pour guider
l’ensemble des échanges au cours de la médiation, il est essentiel d’avoir un
cadre stratégique. Les quatre étapes fondamentales pour inventer des solutions
que nous proposent Fisher et Ury dans leur carte en rond (Fisher, Ury, 1981 p.
108) constituent un cadre stratégique utile pour assurer le respect des étapes
logiques du cheminement vers une solution négociée, mais ne permettent pas suffisamment,
à notre avis, de définir les intérêts mutuels des parties qui vivent une
séparation et de développer une vision commune de leur situation. Nous
décrirons, dans cet article, la manière dont nous nous servons de la démarche
de la négociation raisonnée comme cadre stratégique. Nous préciserons de plus,
comment nous invitons les parties, dans la deuxième étape de la négociation
raisonnée (étude des intérêts et besoins) à prendre conscience qu’en dépit des
ruptures qui s’opèrent entre eux dans différents domaines, certaines dimensions
de leurs vies demeurent inexorablement
liées et qu’il serait judicieux d’en
tenir compte pour assurer un bon fonctionnement familial dans le futur.
Par ailleurs, le
médiateur devra aussi, selon les besoins, adopter des tactiques diverses pour
faire avancer les discussions. Ces tactiques viseront, en fonction des
situations rencontrées, à encourager l’expression des idées, l’écoute,
reconnaître les émotions, recadrer les situations présentées par les parties
pour parvenir à une vision intégrée de la situation, réduire les tensions,
équilibrer les pouvoirs, dégager des options de solution, favoriser la prise de
décisions mutuellement acceptables, etc.
Nous voulons attirer
l’attention du lecteur sur l’importance, pour le médiateur, d’avoir une vue
d’ensemble de son cadre stratégique tout en étant très conscient des tactiques
utilisées en fonction des interactions spécifiques qui se produisent en cours
de médiation. Dans ce but, nous décrirons comment nous utilisons, dans la
pratique de la médiation familiale, la négociation raisonnée et les tactiques
utiles pour aider les parties à conclure des accords mutuellement satisfaisants
tout en redéfinissant le nouveau contexte de leur relation de parents. Dans un
premier temps nous nous concentrerons sur les étapes de la négociation
raisonnée telles qu’utilisées en matière familiale et nous verrons l’importance
de développer une définition commune du problème avant de commencer à trouver
des solutions. Dans un deuxième temps, nous décrirons les tactiques utiles pour
neutraliser les obstacles nombreux qui se dressent sur le chemin du
développement d’une vision commune de la situation désirée.
Au départ, les
personnes qui s’engagent en médiation familiale, dans le cadre de la rupture de
leur couple, présentent leurs positions, c’est-à-dire, ce qu’ils veulent
obtenir concernant la garde ou la pension alimentaire pour enfants ou conjoint
et le partage des biens. La plupart du temps, chacun aura pris en considération
ses intérêts propres et ceux des enfants. La prise en compte des intérêts de
l’autre conjoint ou du groupe familial
se fait rarement d’une façon spontanée.
Pour guider les
personnes vers la conclusion d’une entente mutuellement acceptable, le
médiateur familial doit d’abord les aider à penser autrement leur situation et
l’objectif des négociations qui se dérouleront pendant la médiation. Avant de
penser à trouver des solutions communes, il faudra d’abord parvenir à
s’entendre sur la définition du problème à régler et sur la manière de s’y
prendre pour négocier. La plupart des conjoints accepteront pour objectif de
négociation de parvenir à un accord sur la nouvelle manière d’organiser leur
vie familiale et économique après la séparation. Ayant choisi la médiation, ils
optent pour une démarche coopérative de recherche de solution. Le médiateur
familial pourra alors aider les personnes à se concentrer sur leurs intérêts et
besoins plutôt que sur leurs positions de départ, en leur rappelant tout au
long du processus, cette vision commune des questions à résoudre et leur
adhésion à une démarche de conciliation.
Les quatre étapes de la négociation raisonnée constituent l’épine dorsale de la démarche de médiation qui aidera le médiateur à maintenir le cap. Nous qualifions ce processus de macro-stratégie en ce sens qu’il doit en tout temps constituer le cadre de référence du médiateur et lui fournir les repères nécessaires pour ne pas se perdre dans les dédales des positions conflictuelles. Pour obtenir des résultats qui auront plus d’impact sur la manière des parents de concevoir leurs futurs liens familiaux, nous insistons sur la nécessité de doubler cette démarche d’un recadrage des perspectives individuelles des parties en une vision commune de leur situation familiale à venir.